Epidémiologie et évaluation
Les entorses de cheville représentent 6500 consultations aux urgences par jour en France. On estime que ce chiffre pourrait être multiplié par 2, car de nombreuses personnes ne consultent pas et sous-évaluent les risques liés aux entorses de cheville. La population la plus touchée est sportive. Le risque de récidive après un premier épisode d’entorse est élevé, avec notamment deux fois plus de risque de récidive lors de la première année, et dans 32 à 74 % des cas une évolution vers une instabilité chronique. (1) La raison de ces chiffres inquiétants est difficile à déterminer, mais nous avons probablement en tant que kinésithérapeutes une part de responsabilité à cause de rééducation mal menées. Il est nécessaire d’améliorer nos prises en charge et l’information donnée aux patients pour diminuer les risques d’instabilité chroniques et ses conséquences. (2)
Le diagnostic précis sera important pour ajuster la rééducation. Cependant, les différents testings sont peu spécifiques et peu sensibles en première intention (71% de sensibilité et 33% de spécificité pour les testings sur terrain) et il faudra donc ré-éxaminer le patient 4 à 5 jours après le traumatisme. En tant que kinésithérapeutes, nous sommes donc les thérapeutes privilégiés pour déterminer la lésion après ce délai, puisqu’il est rare que le patient retourne consulter son médecin. Un échange régulier avec ce dernier pour une approche pluridsciplinaire prendra tout son sens. Il est par ailleurs intéressant de noter que même si le ligament talo-fibulaire antérieur est le plus souvent lésé, il existe une grande variété de lésions trop souvent regroupées sous le simple diagnostic d’entorse externe. (3)
Dans un second temps, il conviendra de déterminer le stade de l’entorse, ce qui nous permettra d’avoir une idée du temps nécessaire pour terminer la rééducation et envisager une réathlétisation. Si les 3 stades classiquement décrit nécessitent une imagerie, Malliaropoulos a proposé en 2008 une classification permettant de classer les entorses de cheville à partir d’une simple évaluation clinique (évaluant l’impotence fonctionnelle, la laxité ligamentaire, la présence d’hématome, de point douloureux exquis d’œdème et la diminution des amplitudes actives). (4) Le grade I nécessitera environ 10 jours de rééducation, le stade II environ 1 mois, et le stade III environ 55 jours (à noter, le grade 3 est divisé en 3 et 3b et nécessite une radiographie en contrainte complémentaire pour évaluer un tiroir antérieur inférieur ou supérieur à 3mm).
Dans ce tableau clinique parfois complexe, le rôle du kiné est multiple. Il faudra bien évidemment garantir la cicatrisation ligamentaire en optimisant les soins : une rééducation adaptée, ni trop légère ni trop intense, est nécessaire. Pour ce faire, nous aurons pour buts de lutter contre la douleur et l'œdème, de restaurer les amplitudes de mouvements, de restaurer une stabilité active efficace pour prévenir les récidives et les instabilités chroniques, et enfin d’évaluer la possibilité d'un retour au sport, idéalement en discussion interdisciplinaire.
Lutter contre la douleur et l’œdème
Les outils à notre disposition en tant que kinésithérapeute pour lutter contre la douleur et l’œdème sont assez classiques. Tout d'abord, n'oublions pas les mobilisations, passives ou actives, sans charge dans un premier temps. Nous pouvons également utiliser les massages, le drainage lymphatique manuel, ou d'autres adjuvants tels que le K-Tape. (5) Le protocole RICE (ou GREC pour Glace, Repos, Elevation, Compression) est généralement bien connu, mais à tendance ces dernières années à être remplacé par le protocole appelé POLICE : P pour Protection, OL pour Optimal Loading, I pour glace, C pour Compression, E pour Elévation. La protection consiste à porter une attelle. La notion de « charge optimale » est de plus en plus répandue quelle que soit la pathologie rencontrée, et a pour but de ne plus immobiliser strictement le patient mais de le laisser prendre un appui partiel dans le respect de la non douleur. (6)
Restaurer les amplitudes de mouvement
Nous devrons dans un second temps restaurer les amplitudes de mouvement au travers de mobilisations et d’étirements. Il est toutefois important de mettre l'accent sur l'importance de la dorsiflexion. En effet, un déficit en flexion dorsale est un des facteurs favorisants les récidives, ainsi qu'un déficit établi dans les instabilités chroniques de cheville. Ce manque de dorsiflexion peut généralement être de deux natures, soit un déficit de souplesse de la chaîne postérieure, soit une antériorisation du talus. On comparera la dorsiflexion par rapport au côté sain. (7)
Restaurer une stabilité active
Cette stabilité active aura pour objectif de prévenir les récidives. En effet nous allons lutter contre ce qui est reconnu comme déficits fonctionnels dans les instabilités chroniques de cheville :
Faiblesse musculaire, notamment des éverseurs,
Déficit proprioceptif,
Déficit du contrôle postural,
Limitation de la dorsiflexion, que nous avons évoqué ci-dessus,
Altération de l'activité neuromusculaire dynamique.
Le renforcement musculaire, notamment des éverseurs en excentrique avec une vitesse angulaire importante, sera primordial. (8) Il faudra également travailler le triceps sural et ses deux composantes, genou fléchi et genou tendu : un sujet sain est sensé pouvoir réaliser au moins 25 montées contrôlées sur pointe de pied en appui unipodal. Il ne faudra pas non plus négliger le renforcement musculaire et la stabilisation des articulations sus-jacentes (genou et hanche par exemple). Il semble enfin intéressant de porter une attention particulière aux articulations sous-jacentes : les muscles intrinsèques du pied jouent un rôle important dans la stabilité du pied au sol, et le pied étant le premier interface en contact avec le sol, il paraît naturel de le renforcer. (9)
La proprioception est essentielle dans la rééducation des entorses de cheville. Elle consiste à travailler les sens statesthésique (sens de la position) et kinesthésique (sens du mouvement) de la cheville : nous devons être capable de repositionner le pied à une position prédéterminée à 2 degrés près. Après une entorse de cheville ou lors d’une instabilité chronique, cette proprioception est perturbée. Néanmoins, il est important de préciser que la proprioception de cheville n'est pas renforcée sur un sol complétement instable, tel que plateau de Freeman, Bosu, coussins mous... En effet, au plus le plan est instable, au plus la proprioception sera proximale. Si on déstabilise l'ensemble du pied, on ne peut plus générer de forces de réaction au sol donc la cheville ne peut plus servir en tant que réorganisateur postural, et le corps fait donc appel à une proprioception plus proximale. Néanmoins, nous pouvons travailler cette proprioception de cheville de manière spécifique en créant un plan dit « instable spécifique ». Pour cela, il faut stabiliser l'avant-pied avec un appui stable et rigide aux têtes métatarsiennes, et déstabiliser l'arrière-pied selon l'axe d’inversion/éversion du pied. Ainsi nous sollicitons la proprioception de cheville avec un renforcement musculaire ciblé et approprié. Il ne faudra cependant pas négliger les autres exercices travaillant une proprioception plus proximale car un bon contrôle postural global reste important, mais il semblait nécessaire de rappeler que ceux-ci ne font pas attrait à la proprioception spécifique de cheville. (10) (11)
Pour restaurer une stabilité active de cheville, il faudra également travailler une reprogrammation neuromusculaire dynamique. En effet, il paraît inenvisageable de proposer un retour au sport sans remettre nos patients en mouvement et sur des sollicitations mécaniques plus importantes que celles en statique. Ce travail se réalise avec des exercices variés, non standardisés, mais il semble important de travailler la visée en obligeant le patient à prendre des appuis dans des zones cibles. Dans le fonctionnement normal de la cheville, il y a une pro-activation musculaire avant même que le pied ne touche le sol pour parer aux mouvements d’entorses, notamment des muscles fibulaires. Et si ce fonctionnement est déficitaire, c’est un facteur favorisant l’entorse : il y aurait un positionnement incorrect du pied au moment de toucher le sol dans la majorité des entorses. Il est également important de travailler avec une vitesse angulaire importante. (12) N'hésitons pas à travailler également de manière spécifique, les sollicitations étant différentes entre un gymnaste et un footballeur par exemple. Enfin, il est pertinent de travailler avec la fatigue, même s'il est toujours difficile de reproduire en une séance de kiné la fatigue ressentie lors d'un match par exemple.
Evaluer la possibilité d’un retour au sport
La dernière étape de notre prise en charge sera d'évaluer la possibilité d'un retour au sport. Pour cela, il existe de nombreux tests mais aucun n’a de valeur prédictive suffisante pour être utilisé seul. C’est la combinaison de chacun de ces tests, en étudiant la valeur objective mais également la qualité de la réalisation, qui permettra de se prononcer. Voici quelques-uns de ces tests :
Un exercice assez largement repris dans la littérature est le Star Excursion Balance Test (SEBT), ou son petit frère, le Y Balance Test (YBT). En appui unipodal, le patient va devoir aller effleurer le sol le plus loin possible dans 8 directions prédéterminées (formant une étoile à 8 branches au sol). Nous mesurons la distance obtenue dans chacune des directions et nous moyennons les résultats. Il faudra ensuite comparer cette moyenne à la longueur du membre inférieur testé (distance entre l'épine iliaque antérosupérieure et la pointe de la malléole interne) pour obtenir un pourcentage. Il n'y a semblerait-il pas de valeur seuil déterminée. En effet, il y a une variabilité des résultats selon les sports où les sexes concernés. Cependant, un ratio minimal de 94 % me semble être suffisamment exigeant pour envisager un retour au sport. La littérature recommande 3 essais d'échauffement, et 3 prises de mesures. Le Y Balance Test reprends le même fonctionnement mais seulement sur 3 directions. Il est donc plus rapide et serait tout aussi fiable. Nous pouvons également chercher à interpréter chacune des directions de manière isolée. Ainsi, un déficit dans la direction antérieure signerait un problème de dorsiflexion en charge. Des déficits dans les directions postéro-latérale et postéro-médiale signeraient principalement des déficits sensori-moteurs. Il est important de noter que ce test n'est pas spécifique de la cheville mais évalue l'ensemble du membre inférieur. Une étude a cherché à être plus spécifique pour détecter les faiblesses sensorimotrices de la cheville et propose de réaliser le SEBT sur un plan instable spécifique, avec l'avant-pied stable et l'arrière-pied déstabilisé. Un seuil spécifique de 82 % a été déterminé. Ainsi en dessous de ce ratio, il semblerait difficile d'envisager un retour au sport sans risques. Cependant, cette étude est unique et il serait donc intéressant d’approfondir cette recherche. (15)
De nombreux autres tests existent pour évaluer les entorses de cheville, mais encore une fois ceux-ci ne sont pas spécifiques à la cheville. Nous pouvons notamment penser à la série des hop test, exception faite du Single Hop Test (Lateral Hop Test, Square Hop Test, Side Up Test...), ou au Single Leg Drop. (16) (17)
Il faudra également considérer les différents parcours d'agilité, Illinois, T-test, travail avec échelle d’agilité…
Nous pouvons également songer à faire remplir des questionnaires validés pour évaluer le retour au sport et déterminer si nous ne faisons pas face à une instabilité chronique de cheville. Il s'agit par exemple des questionnaires Ankle Instability Instrument (AII) ou Foot and Ankle Abilities Measure (FAAM). (5)
Enfin, un nouveau système permet d'évaluer de manière informatique et objective les déficits. Il s'agit du dispositif Myolux Medik E-volution qui mesure 6 paramètres importants dans la prévention des récidives et des instabilités chroniques de cheville. Cet appareil est relié à un logiciel permettant d'avoir un bilan objectif et chiffré des déficits de cheville.
Méta-analyse récente
Enfin, il est intéressant d’évoquer un gros travail récent de méta-analyse qui a été publié en janvier 2017. Cette méta-analyses en a analysé 46 autres, pour plus de 300 études uniques, et a cherché à définir les guidelines actuels pour la prise en charge des entorses de cheville. Ce qu'il faut retenir dans le cadre des entorses aiguës, c'est que les exercices à haute dose (plus de 900 minutes !) sont tout à fait indiqués. De même, les supports externes comme les attelles apportent un bénéfice certain, aussi bien pour les entorses chroniques qu’aiguës. Le traitement par glace et compression est au cœur d'un consensus plus que d’une certitude scientifique, et est donc recommandé en le combinant avec des exercices. Les thérapies manuelles ou l’utilisation d’anti-inflammatoires ont des preuves discutées, notamment en raison de follow-up trop courts. Il semblerait que la prise d'anti-inflammatoires précoce bloque le phénomène inflammatoire cicatriciel nécessaire les premiers jours. Enfin, les ultrasons, le laser, l’électrostimulation, ou l'acupuncture semblent aujourd'hui inefficaces au vu des différentes études actuellement publiées. Concernant les instabilités chroniques de cheville, seuls les exercices, les supports externes, et les thérapies manuelles ont été étudiés, avec les mêmes commentaires que pour les entorses aiguës. Enfin, toujours d'après cette méta-analyse, le support externe est recommandé pour tous les athlètes ayant déjà eu un antécédent d'entorse, à porter pendant au moins 6 mois suite au retour au sport pour prévenir les récidives. Il semblerait que le bénéfice puisse dès lors être étendu à un an, et lorsque l'on sait que le risque de récidive est multiplié par 2 la première année, il paraît tout à fait indiqué de prescrire au moins 6 mois d’attelle à nos patients sportifs. Par ailleurs, les attelles lacées seraient supérieures aux attelles semi-rigides. (18)
Conclusion
En conclusion, aucune stratégie de traitement optimal standardisé ne semble ressortir à l’heure actuelle. Il s'agira donc pour nous kinésithérapeutes d'agir avec conscience et professionnalisme. La batterie de test pour évaluer un éventuel retour au sport et très large et non exhaustive. C'est seulement l'interprétation complexe d'un ensemble de composantes : résultats aux testings aussi bien quantitativement que qualitativement, ressentis, questionnaires… qui permettra aux professionnels de santé de proposer un retour au sport optimisé. Cependant, à l’heure actuelle, aucun test ne peut garantir malheureusement un épisode de récidive.
Bibliographie
1. Examen clinique de la cheville: de la blessure au retour sur le terrain. Piccot, B. Lyon : s.n., 15/06/2017. 9ème Journée Nationale d'Expertise Sportive.
2. Gribble PA, Bleakley CM, Caulfield BM, Docherty CL, Fourchet F, Fong DT, Hertel J, Hiller CE, Kaminski TW, McKeon PO, Refshauge KM, Verhagen EA, Vicenzino BT, Wikstrom EA, Delahunt E. 2016 consensus statement of the International Ankle Consortium: prevalence, impact and long-term consequences of lateral ankle sprains. Br J Sports Med. Dec 2016, 50(24), pp. 1493-1495.
3. Fallat L, Grimm DJ, Saracco JA. Sprained ankle syndrome: prevalence and analysis of 639 acute injuries. J Foot Ankle Surg. Jul-Aug 1998, 37 (4), pp. 280-5.
4. Malliaropoulos N, Papacostas E, Papalada A, Maffulli N. Acute lateral ankle sprains in track and field athletes: an expanded classification. Foot Ankle Clin. Septembre 2006, 11(3), pp. 497-507.
5. Martin RL, Davenport TE, Paulseth S, Wukich DK, Godges JJ, Association, Orthopaedic Section American Physical Therapy. Ankle stability and movement coordination impairments: ankle ligament sprains. J Orthop Sports Phys Ther. Sep 2013, 43(9), pp. A1-40.
6. Bleakley CM, Glasgow P, MacAuley DC. PRICE needs updating, should we call the POLICE? Br J Sports Med. Mar 2012, 46(4), pp. 220-1.
7. Hoch MC, Staton GS, Medina McKeon JM, Mattacola CG, McKeon PO. Dorsiflexion and dynamic postural control deficits are present in those with chronic ankle instability. J Sci Med Sport. Nov 2012, 15(6), pp. 574-9.
8. Terrier R, Rose-Dulcina K, Toschi B, Forestier N. Impaired control of weight bearing ankle inversion in subjects with chronic ankle instability. Clin Biomech. Apr 2014, 29(4), pp. 439-43.
9. McKeon PO, Wikstrom EA. Quick Questions in Ankle Sprains: Expert Advice in Sports Medicine. s.l. : SLACK Incorporated, 2015.
10. Académie_de_la_cheville. Chaîne Youtube. [En ligne] https://www.youtube.com/channel/UC2S8hAzWzqZ1k3m8eVLjshQ.
11. Kiers H, Brumagne S, van Dieën J, van der Wees P, Vanhees L. Ankle proprioception is not targeted by exercises on an unstable surface. Eur J Appl Physiol. 112(4) Apr 2012, pp. 1577-85.
12. Fong DTP, Chan YY, Mok KM, Yung PSH, Chan KM. Understanding acute ankle ligamentous sprain injury in sports. Sports Med Arthrosc Rehabil Ther Technol. 30 Jul 2009, pp. 1-14.
13. Gribble PA, Hertel J, Plisky P. Using the Star Excursion Balance Test to assess dynamic postural-control deficits and outcomes in lower extremity injury: a literature and systematic review. J Athl Train. May-Jun 2012, 47(3), pp. 339-57.
14. Coughlan GF, Fullam K, Delahunt E, Gissane C, Caulfield BM. A comparison between performance on selected directions of the star excursion balance test and the Y balance test. J Athl Train. Jul-Aug 2012, 47(4), pp. 366-71.
15. Terrier R, Forestier N. Quels tests en pratique clinique quotidienne pour diagnostiquer les déficits fonctionnels associés à l'instabilite chronique de cheville? Interets du dispositif Myolux. Mains libres. 2015, 7.
16. Sharma N, Sharma A, Singh Sandhu J. Functional Performance Testing in Athletes with Functional Ankle Instability. Asian J Sports Med. Dec 2011, 2(4), pp. 249–258.
17. Doherty C, Bleakley C, Hertel J, Caulfield B, Ryan J, Delahunt E. Recovery From a First-Time Lateral Ankle Sprain and the Predictors of Chronic Ankle Instability: A Prospective Cohort Analysis. Am J Sports Med. Apr 2016, 44(4), pp. 995-1003.
18. Doherty C, Bleakley C, Delahunt E, Holden S. Treatment and prevention of acute and recurrent ankle sprain: an overview of systematic reviews with meta-analysis. Br J Sports Med. Jan 2017, 51(2), pp. 113-125.
Écrire commentaire